RCN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet été plus que d’habitude, avec la situation de sécheresse, la réalisation de stocks sur pied a fait débat : on peut entendre « j’aurais dû faucher moins de surface et laisser de la hauteur » ou au contraire « mes stocks sur pied ont grillé, c’est devenu de la paille ». Nous vous faisons ici un retour de deux éleveurs qui ont réussi à maintenir le pâturage des vaches laitières tout l’été grâce aux stocks sur pied : l’un dans l’Eure en secteur plutôt séchant grâce à des prairies temporaires, l’autre sur la pointe de Caux grâce à des prairies permanentes humides. Dans ces deux exemples, on entend par « stocks sur pied » des prairies qui, après une première exploitation en pâturage ou en fauche, ont connu un long temps de repos qui a permis à l’herbe d’atteindre une hauteur supérieure aux repères habituels au moment où elle a été pâturée. Mais l’idée reste de maintenir une certaine valeur alimentaire, et de ne pas pâturer de la paille !

 

 

1ère ferme :
Jouer sur les complémentarités entre prairies temporaires et permanentes pour maintenir le pâturage tout l’été

La première exploitation se situe dans l’Eure. Sur la ferme on trouve deux types de prairies : des prairies permanentes, essentiellement localisées autour des bâtiments, et sur les terres non labourables accessibles, des prairies temporaires de moyenne durée (4ans) incluent dans la rotation avec les cultures (sols limoneux).

 

Des prairies permanentes au menu du printemps, jusque juin :

Sur l’exploitation, l’ensemble des prairies permanentes sont gérées en pâturage tournant : le déprimage en sortie d’hiver permet notamment de créer un décalage de hauteur d’herbe qui se retrouvera sur les prochains cycles de pâturage afin de pouvoir pâturer une herbe à un stade qui allie production et valeur alimentaire (10-12cm herbomètre). Toutefois, le pâturage est géré de façon à ce que certaines parcelles atteignent une hauteur supérieure en juin. Elles sont ainsi pâturées autour de 12-15cm herbomètre pour les prairies où le raygrass domine (pâturées en premier avant qu’il ne grille) et jusqu’à 18cm pour des repousses feuillues de dactyle qui reste vert jusque fin juin. Cela permet de ralentir la vitesse de pâturage juste avant que la pousse ne ralentisse : les vaches restent plus longtemps sur une parcelle, ce qui laisse plus de temps aux dernières parcelles pâturées pour repousser.

« Mon objectif est d’arriver fin juin avec 40 à 50 jours d’avance ». Pour l’éleveur, il ne faut pas dépasser cette hauteur, ni attendre trop tard en saison sur ces prairies : au-delà, l’herbe perd beaucoup en valeur alimentaire et en appétence. La production laitière était de 19L/jour sur le dactyle à 18cm, mais elle a baissé à 15L sur des stades plus avancés, voir même 13L sur une herbe épiée (montbéliardes au pâturage et recevant 1kg de céréales fermières). Une partie a donc été fauchée tout début juin.

Une partie des prairies permanentes sont situées sur des coteaux séchants. Sur ces prairies la pratique du report sur pied rencontre des limites pour l’été : parfois un peu moins riches en légumineuses et comportant une diversité de graminées aux dates d’épiaison différentes, elles perdent inévitablement en valeur alimentaire lorsqu’on augmente trop la hauteur d’herbe à pâturer. Ces prairies sont donc privilégiées pour le pâturage au printemps.

 

Des prairies temporaires pour maintenir le pâturage en été

 

assemblage paririe2La rotation type de la ferme comprend des prairies temporaires (généralement pour 3 ans), ce qui permet de compléter les surfaces en herbe et d’allonger les surfaces pâturages (une partie des surfaces en rotation sont accessibles au pâturage en traversant les routes !).

Ces prairies temporaires sont destinées en priorité à la production de stocks sur pied pour les mois de Juillet-Août. Elles sont déprimées entre fin mars et fin avril pour favoriser le trèfle et créer un décalage de pousse (mais attention à la portance des sols sur des terres labourées riches en limons !). Celles déprimées en premier peuvent être de nouveau pâturées ou fauchées jusqu’à la mi-mai au plus tard. Ensuite, à partir de juin, elles sont pâturées à 18-20cm herbomètre.

 

 

 

 

 

assemblage paririe1Les vaches pâturent ces prairies de nuit (pendant 12h) et tournent le jour sur des prairies permanentes disposant de haies pour s’abriter du soleil. A partir du 18 juillet, lorsque les prairies permanentes étaient grillées, les vaches continuaient à tourner dessus le jour avec une distribution au pré de 3 boules d’enrubannage par jour à 250kgMS pour 70 vaches. Avec cette ration, les vaches se sont stabilisées à 14L/jour (en bio et sans concentrés ) même en période de forte chaleur. Ces prairies temporaires sont pâturées au fil avant, avancé toutes les 12 à 24h selon la hauteur et les risques de gaspillage, et la hauteur de sortie est de 6cm herbomètre : il y a relativement peu de refus. Un coup de faucheuse est passé à 30cm pour étêter les rumex et les chardons, mais le tracteur avance vite et consomme peu.

 

 

 

 

 

Le trèfle violet : un atout face aux sécheresses

Les prairies temporaires sont composées en majorité d’un mélange de 5kg de trèfle violet, 5kg de fétuque élevée, 5kg de ray-grass anglais et 1 à 2kg de trèfle blanc. Plus elles sont pâturées tard, et plus le trèfle violet, plus résistant à la chaleur et à la sécheresse, devient la ressource majoritaire. Cela permet de conserver une bonne valeur alimentaire, même à un stade avancé.

Il n’y a pas de risque de météorisation car le trèfle est en fleur et car les vaches vont quand même chercher les restes fibreux de fétuque et de raygrass. Le taux d’urée a eu tendance à augmenter cet été lorsque les vaches étaient sur des prairies très riches en trèfle violet, mais sans atteindre des valeurs alarmantes.

 

assemblage paririe3assemblage paririe4

 

Eviter de récolter de l’herbe pour la distribuer le mois suivant…

L’éleveur a ainsi pu maintenir un pâturage tournant durant toute la période estivale, sans affourager jusqu’au 18 juillet, puis en limitant l’affouragement à 70% de la ration. Sur les prairies permanentes recevant l’enrubannage, les vaches pouvaient rester 10 à 15 demi-journées par parcelle de 1,7ha sans souffrir de surpâturage car les vaches pouvaient satisfaire leur besoin de pâturer la nuit et car les temps de retour étaient longs : elles ont reverdi aux premières pluies de fin août. Le pâturage des stocks sur pied s’est terminé début août, mais les premières parcelles de prairies temporaires pâturées en juin sont désormais à 9-12cm herbomètre et peuvent supporter un deuxième passage d’été. En revanche, pour l’éleveur, cette deuxième exploitation s’avère un peu décevante car les prairies sont moins fournies et car le trèfle, même si la hauteur est plus faible, atteint un stade encore plus avancé (en graines). La production laitière a donc baissé un peu, mais cela constitue toujours un apport complémentaire aux stocks, et donc des économies de fourrages !

 

 

2ème ferme :
Passer l’été en système tout herbe grâce à une flore diversifiée et des prairies de fond de vallée .

Dans cet élevage de la pointe de Caux en 100% herbe, la totalité des surfaces en herbe sont des prairies permanentes ou des prairies temporaires de plus de 4 ans.
Des stocks sur pied ont été réalisés sur l’ensemble du parcellaire pour passer l’été, là encore en commençant par pâturer les stocks réalisés sur les prairies les moins résistantes à la sécheresse (raygrass, pentes, …). Ensuite, les vaches ont gagné les vieilles prairies qui comportaient des espèces résistantes à la sécheresse : « Ce qui résiste le mieux sur mes prairies permanentes c’est le plantain, la chicorée (issus d’un semis d’il y a dix ans, qui a du se re-semer tout seul), la luzerne (issue de vieilles luzernières) et le dactyle. Par exemple, mi-août les vaches étaient sur une prairie à dominante dactyle. »
L’éleveur a ainsi pu alimenter ses vaches en 100% pâturage jusqu’au 5 août : « Je ne me plains pas, je passe l’année pas trop mal. C’est mieux qu’en 2019 ou 2020. »

A partir du 5 août, l’éleveur a commencé à distribuer un peu de foin, pour ralentir légèrement le rythme de pâturage des parcelles, « mais elles en mangeaient très peu, environ 1 kg de foin/vache/jour » estime l’éleveur.

Les derniers stocks sur pied consommés en août étaient réalisés sur des prairies permanentes à base de dactyle, mais surtout sur des prairies permanentes de fond de vallée. Ces dernières, lors des pluies de début juin sur cette région, ont récupéré les eaux de ruissellement des fermes voisines et se sont retrouvées légèrement submergées (2cm d’eau pendant une journée). Cela a permis de maintenir de la fraicheur et de l’eau dans les sols, et de ralentir l’avancée en stade. Elles ont ainsi pu résister tout l’été sans griller, et les dernières parcelles de stock sur pied ont été pâturées le 22 août.

Cela a permis d’allonger le temps de retour à 50-55jours en juillet et à 60 jours en août malgré un chargement de 1,4 UGB/ha.

Ainsi, même lorsque les stocks sur pied étaient consommés fin août, les vaches ont pu revenir sur des parcelles avec suffisamment de repousse pour limiter l’affouragement en foin à hauteur de 50% de la ration.

 

Quel est l’intérêt de cette pratique ?

L’essentiel peut se résumer par les verbatim de ces éleveurs : « Je baisse un peu en lait, mais je fais des économies : j’évite de récolter de l’herbe pour la redistribuer le mois suivant. » ; « Au niveau de la production, évidemment ça a baissé, mais j’estime qu’à cette période, le stock sur pied que je fais pâturer vaut à peu près comme un foin. »

En effet, pâturer ces parcelles de cette façon plutôt que de les faucher, c’est :

  • Réduire le temps de travail et les coûts liés à la mécanisation : après une sortie à 6cm herbomètre, les refus sont fauchés à 30cm (pour couper les têtes des rumex, chardons, etc.), ce qui permet d’avancer plus vite en consommant moins de carburant, et il n’y a ni récolte, ni transport, ni distribution, ni paillage. Cela évite de récolter pour redistribuer 1 mois après.
  • Réduire les risques de mauvaise conservation et de perte de valeur alimentaire (perte des feuilles des légumineuses au fanage, dégradation des protéines au séchage ou au stockage,…).
  • Favoriser la fertilisation des prairies grâce à une répartition homogène des bouses au pâturage, ce qui limite les besoins en fumier ou en engrais. Cette fertilisation bénéficie à l’ensemble de la rotation pour les prairies temporaires.
  • Favoriser le bien-être animal et l’état sanitaire du troupeau (mammites, parasitisme, etc) en les maintenant à l’extérieur et en changeant de parcelle.
  • Maintenir un décalage de pousse entre les prairies en vue de leur prochaine exploitation par le pâturage.