Pratique ancestrale ou piste pour l’avenir des systèmes pâturants ?

fourragePendant la sécheresse de 1976, nombre d’éleveurs qui n’avaient plus d’herbe à donner à leurs vaches ont coupé des branches d’arbres qui poussaient aux alentours de chez eux, notamment du frêne, pour leur donner comme fourrage (Goust, 2017). Alain Soiroit, un vétérinaire homéopathe bourguignon, faisait alors la remarque que « Si les boisements furent victimes de ces coupes, le bétail s’en porta fort bien et [s]es interventions diminuèrent notablement dans les mois qui suivirent » (ibid). Si cette hypothèse reste à démontrer, on constate en tous cas que cette pratique qui date du Néolithique (-6000 ans avant JC voire avant) et était courante dans certaines régions d’élevage jusqu’au 20ème siècle (Gobin, 1866, voir carte postale bretonne ci-dessous) retrouve une actualité.

Intérêts et mise en œuvre pratique

Certains recommencent ainsi à y porter de l’intérêt parmi les éleveurs, mais aussi d’autres acteurs comme l’INRA de Lusignan, qui travaille depuis 2013 sur le projet OASYS (Emile et al., 2017) où sont notamment étudiés les arbres fourragers, ou un ancien producteur de PAM comme Jérôme Goust, qui a écrit une synthèse sur la thématique.

Les analyses de valeur alimentaire qui ont été effectuées à Lusignan montrent ainsi qu’en moyenne, un régime de feuilles d’arbres présente 36% de lignocellulose (parties les plus coriaces) contre 30% pour une prairie de plaine de 2ème cycle et 40% pour un foin de luzerne. Selon les essences, les valeurs de digestibilité enzymatique et de MAT atteignent voire dépassent (mûrier blanc, aulnes, frênes, vigne,…) les valeurs des espèces prairiales classiques comme le ray-grass anglais et la luzerne (Emile et aL. 2017).

MAT et digestibilite

Mais comment affourager concrètement ?

Les pratiques les plus courantes sont les suivantes :

  • faire pâturer l’arbre directement en limitant plus ou moins l’accès et en taillant l’arbre pour qu’il soit adapté au pâturage (table fourragère à un mètre du sol, tétard bas, ...) mais tous les arbres ne s’y prêtent pas
  • faire tomber les branches au sol et les laisser à disposition, c’est « la rame au sol » qui permet ensuite de récupérer le bois pour en faire du BRF ou du bois de chauffage
  • récupérer les branches après les avoir coupées pour affourager en vert ou faire sécher et stocker (fagotage, foin d’arbre, …)

Avec les aléas climatiques qui amènent des incertitudes sur l’autonomie en herbe et en fourrages, de plus en plus d’éleveurs s’emparent de la question. Deux groupes CIVAM bas normands (Orne et Calvados) se sont formés avec Jérôme Goust. Suite à cela, certains ont utilisé des arbres présents sur leur ferme pour affourager les animaux, soit de manière très ponctuelle (abattage de branches occasionnel pour donner un supplément de fourrage), soit de manière centrale dans la ration (en l’occurrence, abattage de branches de saule pour nourrir les génisses en été).

Au-delà de l’affouragement, d’autres modes d’utilisation sont évoqués comme l’usage ponctuel de certaines essences pour leurs vertus médicinales.

Le principe de l’arbre fourrager donne à voir le cas d’une pratique répandue dans le monde agricole (jusqu’au siècle dernier en France pour les bovins, mais toujours actuelle à l’échelle mondiale pour les élevages pastoraux notamment) qui s’est perdue face à la concurrence de la productivité des pairies et cultures fourragères. Pour des élevages économes, autonomes et durables, il semble qu’on puisse sérieusement se poser la question de ré-intégrer cet aspect de l’arbre dans les fermes d’élevage.

La connaissance se construit et se re-construit maintenant en avançant petit à petit entre la compréhension des pratiques anciennes, les essais au sein des fermes, les instituts de recherche et parfois le croisement de tout cela dans des processus de recherche participative (voir le groupe Arbres et Semences du CIVAM AD 49).


Bibliographie :

  • Emile J.C., Barre P., Delagarde R., Niderkorn V., Novak S. ; 2017. Les arbres, une ressource fourragère au pâturage pour des bovins laitiers ?. Fourrages, 230, 155-160.
  • Gobin A. ; 1866. Guide pratique pour la culture des plantes fourragères. Paris : J. Hetzel et Cie, Editeurs.
  • Goust J. ; 2017. Arbres fourragers - De l'élevage paysan au respect de l'environnement. Éditions de Terran, 221 p.

Cet article est une synthèse d’une intervention de Jérôme Goust et du mémoire de Mathilde Jouffe réalisé au CIVAM AD 49 au printemps/été 2018